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Au fil des pages avec Sambre, Radioscopie d’un fait divers

Le week-end dernier, j’ai lu Sambre, Radioscopie d’un fait divers d’Alice Géraud (éd. JC Lattès, janvier 2023, 400 pages), un essai/documentaire d’une journaliste ayant suivi le procès d’assises d’un violeur en séries surnommé le « violeur de la Sambre » interpellé en 2018 et condamné définitivement en 2022 (après qu’il a renoncé à son appel en octobre 2023) et ayant eu lieu 30 ans après les premiers signalements et plaintes des victimes, les premières remontant à 1988 et même 1986 (au moins au nombre de 56 côté français et d’autres côté belge). Elle s’interroge sur le sort des plaintes des victimes (la plupart étant mineures au moment des faits!) et le dysfonctionnement institutionnel tant du côté de la police/gendarmerie que de la Justice, sous fond d’évolutions législatives, informatiques et scientifiques du traitement des affaires pénales, en particulier celles de nature sexuelle, l’accusé, poursuivant tranquillement sa vie sans être inquiété et ayant commis les faits avec quasiment le même mode opératoire et dans une même zone géographique, le long de la Sambre, dans une région pauvre et industrielle du Nord de la France, à la frontière avec la Belgique.

J’ai trouvé cette enquête journalistique, qui se place du côté des victimes, bien plus pertinente et intéressante que le roman de Philippe Besson, Ceci n’est pas un fait divers, même si l’autrice aurait pu plus insister sur l’impact des politiques pénales (redécoupage de la carte judiciaire, compétence des tribunaux, budget d’État voté pour la Justice et les justiciables…) sur ces enquêtes bâclées et du rôle du Parquet (plutôt que sur celui des Juges d’instruction qui ne sont saisis d’un dossier que sur réquisition du Procureur de la République) et même si elle ne relève rien de nouveau en la matière.

Pour poursuivre et aller plus loin que le débat soulevé par la journaliste, je rajouterai les points suivants:

La Justice est humaine et n’est donc pas malheureusement infaillible, ce qui peut donner lieu comme ici à des erreurs, négligences, préjugés et idées sexistes et/ou racistes qui ont eu de graves répercussions sur les victimes. Mais elle peut aussi compter sur des personnes consciencieuses, investies et professionnelles, qui font leur travail bien au-delà de ce qu’on leur a demandé, comme ici les archivistes de la PJ, certains policiers, magistrats et avocats… Comme dans toute profession, il y a des incompétents et des fumistes. Ce qui ressort d’un procès n’est qu’une vérité judiciaire et non la Vérité. Même à l’ère du tout informatique, il arrive encore que des dossiers soient perdus dans les Tribunaux et qu’aucun jugement ne puisse être prononcé, le Tribunal n’étant pas valablement saisi ou bien qu’une audition ne puisse l’être en raison d’une panne du serveur informatique permettant sa saisie (et doit être alors recommencée), d’une webcam qui ne fonctionne pas ou que même filmée, elle ne puisse pas être gravée sur CD-rom… Il serait intéressant de connaître le sort des plaintes des victimes en Belgique et des nouvelles plaintes déposées en France, à la suite de ce procès, ce qui aura alors une répercussion sur la peine à effectuer du condamné.

Il est indéniable que les avancées technologiques et choix politiques et évolutions sociétales ont considérablement modifiés la façon de traiter une affaire pénale, que ce soit la création de certains fichiers, dans le respect de la CNIL et l’utilisation généralisée des ordinateurs et téléphones portables.

Je n’ai pas compris l’insistance de la journaliste à relever que les juges d’instruction en charge de ce dossier étaient des femmes en début de carrière, sans s’interroger sur les parquetiers de permanence qui ont coordonné l’action des policiers et gendarmes, le turn over étant encore plus important au Parquet. En tout état de cause, un magistrat peut demander, après un premier poste, sa mutation au bout de 3 ans en moyenne.

Alice Géraud met en exergue, dans son analyse, des situations qui peuvent paraître troublantes ou évidentes alors que si on les remet dans leur contexte, ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Tout semble forcément s’emboîter aisément a posteriori, une fois en main l’ordonnance de renvoi du Juge d’Instruction devant la Cour d’assises et les rapports de synthèse dans lesquels les rédacteurs ont remonté le fil du temps et reconstruit les actes perpétrés en les reliant, a posteriori, les uns aux autres.

Elle montre comme des erreurs ou négligences policières des caractérisations d’infractions qui relevaient du droit transitoire, avec l’entrée en vigueur du Code de pénal de 1994 par exemple, sans pour autant préciser qu’en matière pénale, seule une loi plus douce est d’application immédiate et que certaines infractions ont perduré le temps du droit transitoire.  

De même, par exemple, lorsque la journaliste pointe du doigt le conflit d’intérêt de l’un des Avocats. A l’époque, comme les archives des tribunaux et de la police/gendarmerie, rien n’était informatisé dans les cabinets d’Avocat. Et parfois, ce n’est qu’à la lecture du dossier pénal que l’Avocat découvre, souvent plusieurs mois après sa constitution, qu’il a pu intervenir pour quelqu’un d’autre dans la procédure; ce qui a pu être le cas ici puisque le dossier de la victime qu’il avait assistée ne semble pas avoir été joint immédiatement à la procédure initiale.

Cette affaire ayant été médiatisée, cela a permis à la journaliste d’entendre, à l’audience, les procès-verbaux. On voit bien, à la façon dont elle écrit, qu’elle les a pris en note, même si certains témoignages retranscrits tiennent compte de ses entretiens avec certaines des victimes des articles de presse de l’époque. Certes, sans cela, ce livre n’aurait pu voir le jour. Mais rien n’est dit sur l’éventualité d’un huis-clos (demande qui est de droit et qui ne peut être refusée à la partie civile qui le demande, sans formalisme particulier, à l’audience), certaines victimes ayant été mineures au moment des faits (une même âgée de 13 ans).

De même, je m’interroge sur le fait que l’une des victimes de viol (et non pas d’agression sexuelle) qui s’est présentée à l’audience pour être partie civile n’ait pas pu bénéficier d’un Avocat commis d’office, l’aide juridictionnelle étant de droit en cas de viol depuis 2002, et non soumis à des conditions de ressources, le Président de la Cour d’Assises ayant même la possibilité d’en désigner un d’office, au cours même du procès.

Même si les droits des victimes ont bien progressé depuis plus d’une décennie, il reste encore bien à faire pour leur permettre d’être mieux respectées, accompagnées et informées au cours de la procédure pénale, que ce soit en cas de classement sans suite ou en rendant possible pour une victime d’être assistée, dès le dépôt de plainte ou en cas de nouvelle audition, par un Avocat, surtout quand elle est poussée à ne faire qu’une main courante, acte qui n’entraîne aucun suivi judiciaire et qu’il n’y a que le Procureur de la République qui est seul détenteur de l’opportunité des poursuites, et non pas seulement, depuis 2011, en cas de confrontation avec le mis en cause lors d’une garde à vue.

Que de fois ai-je entendu de la bouche même de policiers que les victimes n’avaient pas besoin d’Avocat car ils étaient là pour garantir leurs droits! La preuve évidente que non, même encore aujourd’hui, la parole de la victime n’étant pas rapportée de la même façon selon sa situation personnelle, socio-professionnelle ou même par qui elle est entendue, suivant qui est de permanence au Parquet et le moment du dépôt de plainte (week-end, soir, service dédié ou non aux crimes et délits à caractère sexuel…) et le rôle de l’Avocat étant bien plus large que celui relaté par l’autrice au sujet des travailleurs sociaux en Belgique qui viennent assister la victime lors de son dépôt de plainte (informer, rassurer, conseiller et défendre ses droits).

Chaque victime réagit différemment, que ce soit au moment des faits (la définition ayant évolué au fil des décennies pour retenir par exemple l’état de sidération et la « passivité » bien trop souvent reprochée à la victime comme ce qu’elle aurait pu dire ou porter pour « provoquer » ou « laisser croire » à son agresseur qu’elle aurait pu être consentante) ou bien encore au cours du procès. Cela ressort très bien de cette enquête journalistique, entre celle qui se sent responsable et coupable alors qu’il n’en est rien, celle qui est dans le déni, celle qui veut tout oublier, celle qui est résiliente, celle qui vit dans la terreur et n’arrivera pas à se présenter à l’audience, ne pouvant se trouver dans la même pièce que son agresseur, celle qui au contraire voudra lui faire face… De même, le profil dressé par la journaliste de l’accusé est malheureusement typique d’un délinquant sexuel (viol, pédophilie, inceste….).

Ce qui fait que je n’adhère toutefois pas à l’idée finale de la journaliste qu’on serait plus attentif ou concerné par ce type de sujet lorsqu’on a été victime de faits similaires. Heureusement qu’on peut être concerné et/ou défendre les droits de victimes de délinquant sexuel sans avoir été une!

Je noterai enfin une autre « violence » qui n’est pas abordée par la journaliste, celle des jurés qui ont été désignés et retenus pour ce procès et dont leurs réactions ont pu être très proches de celles que j’ai pu lire dans des avis de lecteurs sur cet essai (choquant, sidérant, colère et peur face à la possibilité qu’un autre prédateur sexuel puisse être dans leur entourage…).

Je pourrai encore écrire longtemps, comme par exemple sur l’évolution de la procédure pénale (prescription, possibilité de poursuivre quelqu’un que si les faits sont pénalement répréhensible, droit d’indemnisation des victimes qui comme ici font face à un condamné insolvable et montant dérisoire accordé par la CIVI/Fonds de garantie quand on compare aux sommes perçues aux États-Unis, accompagnement des victimes, surtout les mineures, secret de l’enquête et de l’instruction face au droit à l’information du public et qui voit se multiplier les conférences de presse des Procureurs de la République, ce que finalement on avait reproché dans cette affaire à la Maire en 2002, suivi d’un condamné sexuel à sa libération conditionnelle qui est bien plus encadré qu’avant…).

Si cela vous intéresse et si vous souhaitez voir comment se déroule un procès, n’hésitez pas à aller assister à une audience correctionnelle, un jour par exemple de comparutions immédiates, les audiences étant publiques. Peut-être que vous y verrez aussi des affaires de viol qui ont été correctionnalisées.

De mon côté, j’ai vu qu’il existait une série sur France Télévisions et je pense la regarder dans les jours à venir.

Challenge Petit Bac d’Enna #1 Catégorie Lieu: « Sambre »

Au fil des pages avec Les ombres de Big Ben

Pour le thème « Roman noir/thriller/policier » du Mois Anglais 2023, j’ai choisi Les ombres de Big Ben de Michelle Salter (éd. L’Archipel, 2023, 350 pages), un roman policier historique que j’ai lu en mars dernier, intriguée par l’illustration de couverture et les thèmes abordés dans le résumé.

En 1920, Iris Woodmore est une jeune journaliste stagiaire qui couvre la campagne des législatives partielles de sa circonscription avec trois candidats dont pour la première fois deux femmes au poste de Député d’Adlershot: Sybil Siddons pour les Libéraux,  Lady Delphina Timpson pour les Conservateurs et Donald Anstey pour les Travaillistes. En suivant cette campagne, elle est amenée à enquêter sur le décès de sa mère. En effet, sa mère était décédée en 1914, peu avant la Première Guerre Mondiale, des suites d’une chute accidentelle dans la Tamise au cours d’une manifestation de suffragettes. Les candidats à cette élection semblent d’ailleurs liés au passé de sa mère tout comme la disparition non résolue d’une autre suffragette, Rebecca qui était femme de chambre chez les Timpson.

J’ai apprécié cette enquête, surtout la première partie, dans une société anglaise en pleine mutation après la Première Guerre Mondiale. Dans un premier temps, nous sommes plongés dans l’univers des suffragettes et leur lutte pour gagner le droit de vote. Puis l’enquête de la jeune femme prend un autre tournant en découvrant les sombres secrets de la famille Timpson. Il est alors toujours question des droits de la femme mais dans la sphère privée, au sein du couple ou plus largement des violences intrafamiliales. Le roman prend  alors un ton que j’ai trouvé trop moderne pour l’époque d’après-guerre, faisant écho à des préoccupations actuelles du lecteur.

Il y est aussi question d’inégalités sociales (comme entre aristocrates et domestiques…), de condition de la femme, des luttes d’émancipation féminine face au fort conservatisme patriarcal, de secrets de famille, du travail des enfants, d’éthique journalistique, de corruption des politiques, du sort des anciens combattants…

Un bon moment de lecture malgré le rythme lent du récit et le fait que je m’attendais à être encore plus plongée dans le combat des suffragettes! Il s’avère que ce roman est le premier d’une nouvelle série livresque mettant en scène Iris Woodmore, une jeune femme de 21 ans au tempérament curieux, ouverte d’esprit, déterminée et indépendante bien qu’encore un peu immature dans certains domaines compte-tenu de son jeune âge. Un deuxième tome est déjà paru au Royaume-Uni. Je le lirai volontiers lorsqu’il sera traduit, ayant également apprécié les personnages secondaires qui entourent la jeune femme comme son mentor et rédacteur en chef du journal Walden Herald, Elijah, le propriétaire du journal, Horace Laffaye et son nouvel ami fort attachant, Percy Baverstock.

Petit aparté judiciaire: Il faut attendre les années 90 pour que la législation sur le viol conjugal progresse au niveau européen et pour qu’enfin le viol conjugal soit reconnu pénalement répréhensible. C’est le cas par exemple avec l’arrêt de la CEDH du 22 novembre 1995, S.W. c/ Royaume-Uni: ici mettant fin à un des principes de la Common Law iss de la thèse du juge Matthew Hale de 1736 d’immunité conjugale, à savoir « Lépoux ne peut être coupable dun viol commis par lui-même sur sa femme légitime, car de par leur consentement et leur contrat de mariage, lépouse sest livrée à son époux, et elle ne peut se rétracter ». En France, ce n’est que depuis 1994 que c’est inscrit dans le Code pénal et que depuis 2014 qu’a été retiré du Code civil le terme « bon père de famille » avec la théorie napoléonienne du « pater familias » comme figure de moralité.

Pour d’autres avis sur ce roman: Light and Smell et Bianca.

Participation # Le Mois Anglais 2023 de Lou et Titine #Roman Policier

Participation #8 (Parcours littéraire) Challenge Le tour du monde en 80 livres 2023 de Bidib #Royaume-Uni

Participation # Challenge British Mysteries de Hilde et Lou #Roman policier

Au fil des pages avec La huitième reine

J’ai lu La huitième reine de Bina Shah (éd. Actes Sud, 2016, 356 pages) pour la lecture commune du 14 août 2021 des Étapes Indiennes autour de l’Indépendance du Pakistan. Je l’ai d’ailleurs fini le 14 août mais ne le chronique qu’en cette fin du mois d’août.

Ali Sikandar, un jeune étudiant de 25 ans et reporter pour une chaîne de télévision privée de Karachi est envoyé pour couvrir le retour au pays de Benazir Bhutto en octobre 2007. Est-elle vraiment celle qui permettra un meilleur avenir aux Pakistanais? Ali se laissera-t-il à son tour gagner par la ferveur entourant ce retour?

Contrairement à son père qui est un fervent partisan de Benazir Bhutto, Ali s’interroge sur ce retour et sur cette femme politique et aussi sur sa propre vie (ses choix professionnels avec la possibilité d’intégrer une université aux États-Unis, sa relation amoureuse avec une jeune fille hindoue, les rapports avec son père avec qui il a cessé tout contact depuis que ce dernier a épousé une seconde femme…). La petite histoire côtoie la grande Histoire, entre les questionnements du jeune homme et les trois derniers mois de la vie de Benazir Bhutto, grande figure politique de son pays avant son assassinat en décembre 2007 en pleine campagne électorale.

Les chapitres alternent entre le présent (2007) et le passé, le passé permettant d’éclairer le présent tant celui des trajectoires prises par les protagonistes comme Ali que celui du pays ou plus exactement d’une province du Pakistan, le Sindh. Il y est question des attentes, doutes et espoirs de la jeunesse pakistanaise, du poids des traditions tant culturelles que religieuses, de géopolitique (le pouvoir aux mains des militaires, corruption des élites, le PPP – Parti du peuple pakistanais dirigé par Benazir Bhutto et fondé par son père dans une vision socialiste, les féodaux…)… Plus l’histoire avance plus les liens entre les époques et les personnages se tissent jusqu’au dénouement final inéluctable. Une lecture fort intéressante en totale immersion dans l’histoire pakistanaise!

Pour d’autres avis sur ce roman: Katell et Rachel. Et aussi des avis sur Le cri de l’oiseau de pluie de Nadeem Aslam chez Pativore, L’histoire de Malala de Viviana Mazza chez Blandine et une bibliographie pakistanaise chez Hilde.

Participation #6 aux Étapes Indiennes de Hilde et Blandine #LC

Participation #51 au Challenge Lire au féminin de Tiphanya #Autrice pakistanaise

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